
Ces deux messieurs sont les seuls auteurs sur Terre (et même de l’univers) à réussir à me rendre infidèle aux thrillers. Il y a un je ne sais quoi de terriblement accrocheur et enivrant dans leurs intrigues, leurs personnages, et leur univers, et j’ai été absolument conquise par leurs deux romans publiés.
Cette interview fait suite à ma lecture d’Alabama 1963 et portera essentiellement sur ce premier ouvrage avec lequel ils ont fait une entrée fracassante dans le milieu littéraire français.
Lumière sur Ludovic Manchette et Christian Niemiec !
Bonjour, Messieurs. Pourriez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaitraient pas encore ?
C. N. : On a écrit ensemble un premier roman qui s’intitule « Alabama 1963 », qui est sorti en 2020 au Cherche Midi, puis chez Pocket pour la version poche.
L. M. : Et on vient de récidiver, avec « America[s] », qui est sorti le 10 mars, toujours au Cherche Midi.
« Alabama 1963 » est donc votre premier ouvrage écrit à quatre mains. Comment vous est venue cette envie d’écrire un roman ensemble ?
L. M. : On écrivait déjà ensemble des VF de films. À l’époque où on a commencé à en discuter, on était un peu frustrés par notre travail d’adaptateurs parce que plusieurs fois, on nous avait retiré des films au dernier moment. À cause d’un changement de distributeur ou pour d’autres raisons plus obscures.
C. N. : Il se trouve que, chacun de notre côté, on a toujours eu envie d’écrire un roman et on s’est dit : pourquoi pas ensemble ? Et pourquoi pas maintenant ?
L. M. : Ce qui est drôle, c’est que quand Christian était petit et qu’on lui demandait ce qu’il voulait faire plus tard, il disait qu’il voulait écrire « à deux ». Ce qui n’est pas commun… !
Comment vous êtes-vous organisés pour l’écriture ?
C. N. : On a discuté et échangé plein d’idées, qu’on a mis dans l’ordre pour arriver à un plan. Et on a tout écrit dans l’ordre, à deux. Chaque phrase à deux.
L. M. : On procède toujours de cette manière : l’un de nous lance une idée, l’autre rebondit… On discute comme ça toute la journée et le soir, on a avancé. D’ailleurs, on discute tellement qu’au bout du compte, on envisage un peu toutes les éventualités à chaque fois, si bien qu’à la relecture, contrairement à la plupart des auteurs, on ne supprime jamais rien. Pas une ligne. On modifie, bien sûr, on ajoute, mais on ne supprime pas.
C. N. : On entend parler d’auteurs qui écrivent 1000 pages pour en supprimer 400… Ce n’est pas du tout notre façon de faire et ça nous paraît cauchemardesque.
Avez-vous été, durant tout le processus d’écriture, sur la même longueur d’onde ou y a-t-il eu des moments d’intenses négociations entre vous pour réussir à tomber d’accord sur des points divergents ?
C. N. : On n’a jamais eu besoin de négocier quoi que ce soit. On est toujours d’accord sur tout, même sur les prénoms des personnages, par exemple, ce qui n’est pourtant pas évident. Quand on a le bon prénom et le bon nom, on le sait tous les deux. Et c’est pareil pour tout le reste.
L. M. : Ce serait infernal si chacun devait se battre pour imposer ses idées. Non, au contraire, chacun aide l’autre à accoucher du livre qu’il a envie d’écrire. Notre grande chance, c’est qu’on veut écrire les mêmes livres. Pour moi, ça tient du miracle d’être à ce point-là sur la même longueur d’onde.
Vous avez choisi de situer votre histoire en plein cœur de l’État d’Alabama durant la terrible période de la ségrégation. Qu’est-ce qui vous a donné envie de situer votre intrigue durant cette période ?
C. N. : On voulait raconter une histoire d’amitié, ou du moins d’une complicité, qui n’irait pas de soi. Deux personnages que tout opposerait, à commencer par leurs préjugés et le contexte. Assez vite, l’idée de situer notre récit pendant la ségrégation s’est imposée.
L. M. : On avait tout le conflit dont on avait besoin puisque nos personnages ne pouvaient même pas se promener ensemble sans courir un risque. En plus, cette période de l’Histoire était éloignée, mais pas si éloignée finalement, révolue mais pas si révolue… C’était intéressant de se pencher sur le sujet au moment où les États-Unis avaient un président noir, puisqu’on a commencé à écrire en 2014. Puis, il y a eu Trump. Et surtout, quelques mois après qu’on ait signé avec le Cherche Midi, l’actualité nous a rattrapés avec l’affaire George Floyd.
Vous abordez un pan ultra violent de l’histoire contemporaine américaine sans pour autant faire usage de scènes trop difficiles. Volonté d’épargner vos lecteurs ?
L. M. : On n’a pas réfléchi en ces termes. Il nous a semblé que le sujet était déjà suffisamment difficile, entre la ségrégation et les meurtres de petites filles… En tant que lecteurs, on n’aime pas les romans glauques et en tant qu’auteurs, on ne prend pas particulièrement de plaisir à décrire des scènes horribles.
C. N. : Paradoxalement, écrire des scènes « difficiles » comme vous dites… nous semblait un peu facile ! Écœurer les gens en décrivant un lynchage, ce n’est pas si compliqué. On a préféré montrer l’horreur de la ségrégation autrement, dans toute sa banalité à l’époque, au détour d’une réflexion terrible, et à travers des situations souvent absurdes.
L. M. : Ce qui était difficile, pour le coup, c’était de mettre de l’humour dans tout ça. Mais on y tenait. D’abord parce qu’on aime le mélange des genres : policier, comédie, fantastique, drame… Et puis parce qu’il nous semble que dans toute histoire, on a besoin d’un peu d’espoir.
Pourriez-vous nous parler de votre dernier roman, « America[s] » qui est paru le 10 mars dernier ?
C. N. : C’est l’histoire d’une jeune fille, Amy, qui décide de traverser les États-Unis, en 1973, pour essayer de retrouver sa grande sœur qui rêvait de devenir playmate et qui est partie un an auparavant. Elle va rencontrer des hippies, un routier qui a fait la guerre du Vietnam, un couple de paranos assez drôle… Quelques vedettes aussi…
L. M. : On s’est vraiment régalé. Il faut dire qu’on avait commencé à écrire avant la sortie d’« Alabama 1963 », qui n’était donc pas encore un succès. On n’avait pas cette pression-là sur les épaules, en tout cas au moment du choix du sujet et au début de l’écriture.
C. N. : Les derniers mois, c’était plus compliqué, mais de toute façon, quand on s’installe à notre bureau, on ne pense pas au lecteur, juste à l’histoire qu’on a envie de raconter. En même temps, on se dit que si on s’amuse, le lecteur risque de s’amuser aussi.
Je vous laisse carte blanche pour clore cette interview !
C. N. : Qu’est-ce qu’on peut dire… ? Qu’on est très heureux que les gens découvrent enfin « America[s] », qu’on adore.
L. M. : De toute façon, on ne publiera jamais on roman qu’on n’aime pas à cent pour cent. Après, on espère que les lecteurs ne s’attendent pas à « Alabama 1964 », parce que c’est assez différent de notre premier roman.
C. N. : Mais quand on essaie de prévenir les lecteurs, ils nous répondent : « Et heureusement ! On veut être surpris ! » Alors on suppose que tout va bien !
Merci infiniment d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
L. M. : Merci à vous.
C. N. : Et merci à celles et ceux qui ont lu cette interview.
L. M. : Voilà, si vous lisez ceci, merci !