
En avril, je me suis lancé le défi de lire un roman de 1167 pages.
Mille.
Cent.
Soixante-sept.
Pages.
Le tout écrit sur du papier aussi fin que du papier de cigarette qui m’a donné la furieuse impression d’être en train de lire mon vieux dico…
Le risque était grand surtout que je ne suis pas une grande amatrice de pavés et qu’habituellement je choisis des romans qui font au maximum 500 ou 600 pages. C’est la couverture, l’envie de lire autre chose que du polar classique, ainsi que le côté très ancré Etats-Unis qui m’ont donné envie de me lancer.
Verdict ?
Je vous parle aujourd’hui du premier roman de Chuck Wendig, Les somnambules, publié chez Sonatine.
L’histoire (4ème de couverture)
Dans un petit village de Pennsylvanie, Shana surprend sa soeur, Nessie, quittant d’un pas résolu leur maison. Lorsqu’elle tente de l’intercepter, la petite fille ne réagit pas à sa présence. Mutique, absente, le regard vide, elle avance… Croyant à une crise de somnambulisme, Shana commence à la suivre. Rapidement, elles sont rejointes par un deuxième errant, frappé des mêmes symptômes que Nessie. Puis un autre. Bientôt, ils sont des centaines à converger vers la même destination inconnue, tandis que leurs proches, impuissants, leur emboîtent le pas. Très vite, cette mystérieuse épidémie enflamme le pays.
Chuck Wendig tend à notre monde un miroir dans lequel se reflètent ses hantises les plus contemporaines : l’irruption de l’inconnu, la peur de l’autre, la défiance envers le gouvernement, la force rampante des discours religieux et extrémistes… Rappelant autant Le Fléau que The Leftovers, Les Somnambules est un portrait humain mais sans concession d’une société au bord de l’extinction.
Stupéfiant !
J’ai publié une photo sur mes réseaux sociaux à la moitié de ma lecture en résumant très simplement mais objectivement les choses : les marcheurs marchent, les chercheurs cherchent, et moi je suis le troupeau sans trop m’en approcher – sait-on jamais que ce machin soit contagieux. Tout ça constitue environ 75% du roman. Dit comme ça, ça peut paraître ennuyeux je vous l’accorde. Pourtant, bizarrement, je me suis sentie intéressée très rapidement par l’intrigue, et plus j’avançais et moins j’avais envie de le poser pour vaquer à mes occupations. C’est plutôt bon signe, d’autant plus quand l’ouvrage est aussi long.
Nous suivrons ici le parcours de personnes banales, comme vous et moi, qui se mettront à marcher à travers les Etats-Unis sans que rien ni personne ne puisse jamais les arrêter. Pas de repos pour manger ou boire, encore moins pour dormir, pas de réaction lors d’échanges verbaux, aucune réaction non plus lorsque les éléments se déchaînent autour d’eux. Ils marcheront encore et encore, inlassablement et au grand désarroi de leurs familles qui seront de plus en plus nombreuses à suivre le parcours de cette armée silencieuse. Il y aura évidemment des membres de la communauté scientifique, qui suivront le troupeau pour tenter de faire la lumière sur ce qu’il se passe. Et rapidement les premiers malades, puis des malades toujours plus nombreux, partout, aux quatre coins du monde et c’est alors une véritable pandémie qui s’abat sur l’humanité entière.
Une pandémie, tiens donc ? Là vous vous dites « sauve qui peut ! », et je vous comprends car personnellement je ne veux lire aucun bouquin d’un quelconque auteur qui profiterait du COVID pour écrire un méchant thriller flippant sur le sujet. Et bien que nenni les amis ! Le roman a été publié aux Etats-Unis en 2019, soit un an avant le début de notre pandémie, alors que rien ne présageait de ce qui allait nous tomber dessus. Et pourtant tel un visionnaire, tout y passe dans le roman : des échanges entre les personnages relatifs à de potentielles quarantaines et au bienfondé de celles-ci, des personnes qui doivent se tester à grand renfort d’écouvillon qu’on t’enfonce dans le nez jusqu’à ce que tu aies l’impression que ça va te traverser le cerveau, des malades qu’on doit isoler à cause de leur contagiosité, et des morts forcément, beaucoup de morts… C’est tout bonnement incroyable de lire ce roman en se disant qu’il a été écrit et publié avant l’émergence de l’épidémie. Certains passages font tellement écho à ce que nous vivons qu’on se demande comment il est possible que l’auteur ait imaginé un scénario pareil seulement quelques mois avant que ça ne se déclenche.
L’auteur dresse également le portrait d’une société touchée par quelque chose d’aussi inédit qu’une pandémie mondiale : la violence qui anime ceux qui ont peur et le fossé qu’elle creuse entre les gens, mettant en avant ainsi l’instinct primaire de conservation qui anime chacun de nous. Il décrit également les croyants qui se tournent vers Dieu et la religion parce qu’ils ont besoin de quelque chose à quoi s’accrocher pour les rassurer, il nous parle des complotistes qui laissent exploser leurs idées complètement farfelues, mais aussi de la course pour trouver l’origine du mal et comment le combattre et s’en protéger. Impossible de ne pas faire de parallèle avec ce que nous vivons actuellement même si finalement notre COVID actuel fait figure de gentille maladie par rapport à ce qui s’abat dans Les somnambules. De là, deux réactions : soit vous êtes complètement flippés et vous vous dites que les choses peuvent basculer dans le négatif encore plus qu’actuellement (en raison des variants ou de nouvelles épidémies encore endormies), soit vous vous rassurez en vous disant que le COVID n’est finalement pas si grave que ça et qu’il existe des maladies encore plus dramatiques que celle-là. En bonne angoissée, je vous laisse deviner de quel côté je penche moi =) (Un Xanax siouplé ^^)
J’ai lu Les somnambules comme j’aurais regardé une série Netflix, car l’ouvrage est très visuel au niveau de la description de l’environnement et des émotions qui sont palpables. L’auteur centre son intrigue sur une poignée de personnages que nous suivrons tout au long du roman. Il a fait le choix de se concentrer sur un petit nombre d’entre eux, au regard du nombre de pages hallucinant du bouquin. J’ai apprécié ce détail car ça facilite notre lecture sans nous bourrer le crâne en nous perdant dans une multitude de personnages, mais aussi parce qu’on partage tout avec eux : les doutes, la peur, les nuits difficiles, l’incertitude et les liens qui vont se créer. On s’attache, forcément, et je vous avoue me sentir un peu vide depuis que j’ai terminé ma lecture, comme quand on termine une bonne série télé qui nous a fortement accaparée.
Le fait de ne pas tout miser sur l’action, mais sur l’aspect humain et sociétal rend le roman vivant, riche et très actuel. Les rebondissements ne seront pas légion et pourtant aucun ennui, pas la moindre envie d’abandonner ma lecture même si je commençais à fatiguer dans les deux cent dernières pages je dois quand même l’avouer.
Le mot de la fin
Brillant, divertissant, précurseur, novateur.
A 25€ les presque 1200 pages, on va dire que cet achat est un bon investissement !