Interview, Non classé, Polar/thriller français

Lumière sur… Maxime Chattam !

Bon, je vous le présente ou ce n’est pas nécessaire ? =)

Il est le premier auteur de polar que j’ai lu alors que j’étais adolescente et qu’il venait de publier son premier roman. et il est aussi le premier auteur que j’ai eu le courage d’interviewer par téléphone, moi la nana réservée qui ne répond ni aux appels masqués ni aux numéros qui ne sont pas dans mon répertoire tellement je n’aime pas ce mode de communication.

Je réalise mes interviews habituellement par écrit, planquée derrière mon écran, mais quand Maxime Chattam accepte ta demande d’interview (Merci Claire !) plutôt par téléphone que par écrit, alors tu enfermes ta timidité à triple tour dans le placard et tu y vas ! L’échange a duré une demi-heure, il a été riche et passionnant, et j’ai retranscrit le plus fidèlement possible cette discussion ensemble même si j’ai du faire des coupes parce que, c’est qu’il est sacrément bavard quand même ! =)

C’est avec un enthousiasme difficilement contenu que je partage avec vous aujourd’hui cette première interview de mon année 2020.

Lumière sur Maxime Chattam.

Bonjour Maxime Chattam. Tout d’abord, je vous remercie de m’accorder du temps pour répondre à mes questions. Vous êtes l’auteur de plus de vingt romans et vous publiez des thrillers en France depuis 18 ans. Comment trouvez-vous encore l’inspiration pour vous renouveler et continuer à capter toujours plus de lecteurs ?

C’est assez simple, quand vous avez du succès vous avez 2 possibilités : soit vous vous enfermez dedans parce que vous avez peur que ça s’arrête, vous faites toujours la même chose et ne prenez aucun risque. Ou alors, et c’est ce que j’essaie de faire pour m’éclater, le succès vous permet d’être libre et vous permet de vous dire « tant pis, je ne serai peut-être pas le plus riche de la planète à la fin de ma vie mais au moins je me serais éclaté à faire ce que j’aime ». Je suis connu pour faire des romans policiers, j’aime lire de tout, et du coup j’aime écrire des choses différentes.

 Ce qui m’éclate le plus ce sont les thrillers, mais parfois j’ai envie de passer six mois ou un an sur un autre projet qui n’a rien à voir. C’est comme ça que je me suis autorisé à faire Autre-Monde, qui est très éloigné de ce que j’ai l’habitude de faire. J’ai demandé à mon éditeur de m’accompagner parce que je n’avais pas envie de faire autre chose à ce moment-là. J’aime écrire des thrillers avec des policiers, des enquêtes criminelles, de la médecine légale car il y a un travail assez jubilatoire dans la construction de ce genre de romans. Le moindre chapitre un peu bancal peut faire s’effondrer toute l’intrigue. Il y a un défi intellectuel qui m’émoustille dans l’écriture du thriller, mais parfois j’aime m’arrêter et faire autre chose, comme Le coma des mortels qui a surpris, déçu, certains l’ont adoré, d’autres l’ont détesté. Mais moi, j’avais besoin d’écrire ce bouquin à ce moment-là. C’est la même chose avec Que ta volonté soit faite ou Le signal que j’ai publié il y a un an. J’aime bien changer et aller dans la direction qui m’habite à ce moment-là, et je crois qu’il faut se servir du succès pour ça. Il faut se dire « de quoi ai-je envie ? Fonce ! ». Et j’espère à chaque fois trouver des lecteurs qui vont partager le plaisir, en lisant, que j’ai pu moi-même ressentir en écrivant.

J’ai l’impression que les lecteurs vous suivent quelle que soit la direction que vous prenez, même si vous restez majoritairement dans la littérature noire ?

Globalement je suis très branché suspense, noir etc. Je ne me vois pas traiter le sujet de la violence en étant complaisant, je ne peux pas décrire une scène de crime en deux lignes, on a compris le truc OK, mais on ne s’attarde pas dessus. J’ai passé du temps avec des flics, sur des scènes de crime, avec des victimes qui ont survécu à des agressions, ou avec des techniciens d’investigation criminelle, et en assistant à une autopsie on ne peut pas se dire « tiens je vais raconter ça comme si c‘était divertissant ». C’est à moi de transformer ça en suspense, je vais être dans le détail, je vais vous décrire l’odeur d’un corps vide par exemple. Par contre si je décide de faire ce chapitre, c’est parce que ça va servir mon récit.

Oui je comprends, ce n’est pas du gore « gratuit »…

Voilà exactement. Je ne suis pas d’accord avec « Chattam fait du gore ». Le gore c’est gratuit, de l’esbroufe, c’est pour le show, et moi ce n’est pas mon truc… Si je vous raconte quelque chose comme ça c’est que j’ai une idée derrière la tête, c’est très souvent pour décortiquer la psychologie d’un criminel, d’un psychopathe, et ça ne fonctionnera vraiment bien que si on a mesuré pleinement ce qu’il a commis avant, l’horreur de ses actes, sinon on reste en surface. La moindre scène d’action un peu violente que j’écris est assez difficile à lire, mais je pense que c’est nécessaire et je ne me vois pas l’écrire autrement.

Mais est-ce que vous pensez que les lecteurs prennent en quelque sorte du plaisir à lire ce genre de passages difficiles ? Je me rends compte en lisant les avis des autres lecteurs, et je suis moi-même la première concernée d’ailleurs, que plus c’est violent et plus ça plaît.

(rires) mais c’est horrible de dire ça !

Mais oui c’est horrible ! Mais je ne pense pas que ça soit du voyeurisme, on ne supporterait pas de telles situations dans « la vraie vie » mais il y a quelque chose de jubilatoire quand même de lire ça dans un bouquin…

Je ne me suis pas posé la question dans mes premiers romans mais je me suis rendu compte au fur et à mesure que de plus en plus de gens me disaient « j’adore quand c’est noir ». Je me suis interrogé par moment et c’est petit à petit que m’est venue l’idée d’un de mes livres. J’ai imaginé une histoire où, à la fin, le tueur serait en réalité le lecteur, parce que, que l’on soit d’accord ou pas avec le postulat de fin, ça nous renverrait à notre fascination pour ce type de littérature. A défaut de commettre réellement le crime, on pourra s’interroger et se demander pourquoi on lit ce genre de livres. Je pense que c’est un peu comme des montagnes russes, c’est-à-dire qu’on est sur un rail et on traverse des horreurs, mais on sait qu’on est en sécurité. Et puis on peut le faire à son rythme, on peut ralentir le rythme de lecture, zapper des passages…

Il y a une fascination pour les crimes, on a tous peur de tomber sur un psychopathe et lire ce genre de chose est en quelque sorte un exorcisme. Ça rassure, parce que c’est dans les bouquins, et on se dit que c’est aberrant. On a peur de ce qu’on ne connaît pas, et à force de lire sur le sujet on les connaît un peu mieux et par conséquent on en a un peu moins peur.

Les sociétés ont toujours besoin d’un croquemitaine, c’était le Diable pendant longtemps, et puis la religion est retombée grâce à la science. Inconsciemment la société a cette fascination depuis 40 ans pour les tueurs en série car le phénomène a explosé aux yeux du grand public dans les années 80 et ce personnage-là a été l’incarnation du « croquemitaine des temps modernes », à la fois réel, car il existe vraiment, et en même temps tellement étrange et angoissant qu’il a quelque chose de surnaturel. Il vient remplacer ces grandes figures effrayantes qui étaient une sorte de jalon dans la société : « attention ne fais pas de mal sinon le diable va venir te tirer les pieds ». On ne peut pas dire cela aux adultes aujourd’hui, mais on a maintenant le tueur en série qui incarne ça, d’où la fascination pour eux dans la société actuelle.

Est-ce que vous pensez que les envies de vos lecteurs ont évolué depuis vos débuts ?

Certainement mais je vais être franc, j’ai besoin d’écrire ce que moi j’ai envie d’écrire, je ne peux pas le faire en fonction des goûts de mes lecteurs. Quand on écrit, on le fait égoïstement, pour soi. Et pourtant quand je relis une phrase, je sais que je le fais pour le lecteur, pas tous les lecteurs, mais un lecteur type que j’ai en tête. Je me demande s’il va comprendre cette phrase, si je suis clair, si je peux le manipuler ici pour le surprendre. Je considère que l’écriture se fait en deux temps : il y a d’abord une écriture pour moi, immédiate et très égoïste, et une relecture directement après pour l’Autre, le lecteur.

Vous alternez régulièrement des thrillers réalistes et fantastiques, avez-vous une préférence entre les deux genres ?

Non parce que ça va dépendre des moments… En ce moment je suis plutôt sur du réaliste, mais posez-moi la question dans 6 mois je vous répondrai peut-être que je préfère l’irrationnel, l’horreur…

Il faut réussir à embrayer sur un projet pour que, pendant toute la période d’écriture, je me sente enthousiasmé. Mais je ne peux pas dire que j’ai une préférence. C’est un peu comme lire, j’aime lire beaucoup de choses différentes, de la science-fiction, de la fantasy, des romans historiques…

Justement, vos lectures ont-elles eu une influence sur l’auteur que vous êtes aujourd’hui ?

Oui forcément, tout ce que j’ai pu lire dans ma vie d’adolescent et de jeune adulte a eu un impact énorme sur le romancier que je suis devenu. Je lis moins maintenant, mais à l’époque j’étais un boulimique de lecture avec trois ou quatre livres par semaines, j’ai des livres partout chez moi mais au fur et à mesure des années, je me suis rendu compte que je perdais un peu le plaisir de la lecture, c’est horrible de le dire mais encore plus de le vivre croyez-moi. Je me suis rendu compte que j’avais plus de mal à être fasciné par un bouquin, à être immergé dedans…

Je ne lis presque plus de romans policiers, à part quelques-uns de temps en temps quand on me dit qu’il est à ne pas rater. Aujourd’hui je lis moins qu’avant mais je sélectionne plus, je lis beaucoup d’essais et de récits historiques, ça me plaît depuis quelques années. Mais ça changera certainement encore…

Vous situez régulièrement vos intrigues aux Etats-Unis, c’est le cas notamment dans vos deux dernières parutions. Est-ce qu’on écrit de la même manière un ouvrage qui se déroule en France et aux Etats-Unis ? Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le fait de situer une intrigue outre-Atlantique ?

Je connais très bien le pays pour y aller très régulièrement, cette culture-là n’est pas plus compliquée que celle du pays dans lequel je vis. Ça ne me pose pas de problème de situer mon intrigue aux USA ou en France. Je vais choisir le lieu le plus adapté en fonction de l’histoire que je vais raconter.

Donc si je comprends bien, c’est l’émergence de l’intrigue dans votre esprit qui détermine le lieu dans laquelle elle se déroulera ?

Oui tout à fait.

C’est comme les personnages, beaucoup d’auteurs vous diront que le cœur de l’histoire est pour eux le personnage, mais ce n’est pas du tout mon cas. J’ai  d’abord une idée, je la travaille jusqu’à ce que j’aie le sentiment qu’elle ferait un bon roman, qu’elle me passionne, et que cette histoire me permette de raconter autre chose sur le monde dans lequel on vit. Une fois que j’ai tout ça, je crée les personnages qui vont nourrir cette histoire et le lieu dans lequel cela va se dérouler vient au même moment.

Avec tous les clichés que ça comporte et qui sont liés à l’un ou l’autre des pays, je suppose ?

Exactement. Il y a les clichés dont on va se servir pour gagner du temps car je me rends compte que j’ai tellement de choses à raconter que je dois gagner du temps ailleurs et je me sers des clichés de ce pays car on va directement aller à l’essentiel. Le seul cliché avec lequel j’ai du mal c’est celui du flic alcoolique, ça m’ennuie tellement que je ne pense pas que vous trouverez ça dans mes romans.

Qu’est-ce que vous nous réservez alors, pour 2020 ?

J’étais en train de travailler sur 5 projets en même temps. Je ne sortirai pas de livre au printemps, car j’ai pris mon temps sur plusieurs autres projets…

Par contre je vous donne une exclu pour 2020, il y aura peut-être une novella qui sera publiée avant l’été. J’ai écrit un texte il y a plus de 20 ans et même si mes vieux écrits ne m’intéressent pas, j’ai toujours eu envie de publier celui-ci, parce que je l’aime beaucoup. Mon éditrice m’a proposé de le sortir en novella, je suis actuellement en train de le reprendre, de voir si je dois le modifier, le compléter, et peut-être qu’il sortira avant l’été.

J’avais trois autres projets en tête, très différents : un thriller pur et dur, un thriller fantastique un peu dans l’esprit du Signal et un autre projet, une sorte de thriller – car la forme narrative est celle du thriller – mais c’est pas une enquête policière, ce n’est pas du tout noir, c’est plutôt un hommage pour Barjavel. Je suis fasciné par cet auteur depuis enfant, j’ai toujours rêvé d’écrire une histoire comme ça, et ça fait quelques mois que ça me démange.

J’ai enfin décidé sur lequel des trois projets j’allais me concentrer. Il est déjà bien avancé et je pense qu’il sortira courant octobre si tout se passe bien.

Merci beaucoup pour cette avant première ! Je vous laisse maintenant carte blanche pour terminer cette interview !

J’ai le droit de vous poser une question ?

Bien sûr !

Vous avez lu plusieurs de mes livres, j’aimerais savoir celui que vous n’avez pas aimé et pourquoi, et celui que vous avez le plus aimé ?

Je n’ai pas vraiment adhéré à la série Autre Monde, parce que je ne lis pas de fantastique « trop poussé » et là pour le coup, c’était vraiment trop fantastique pour moi et je n’ai pas réussi à passer le premier.

Mon préféré… j’en ai plusieurs en fait. Je garde en tête La conjuration primitive et j’ai un gros faible pour Que ta volonté soit faite car il était tellement violent, tellement malsain – c’est un compliment quand je dis d’un bouquin qu’il est malsain je vous rassure – que j’ai adoré. Je garde également un faible pour La trilogie du mal, parce que j’avais 15 ans quand j’ai lu L’âme du mal, un peu en cachette car ma mère l’avait lu et pensait qu’il était quand même un peu trop violent pour moi à mon âge. Je peux dire que vous êtes le premier auteur de polar pour adulte que j’ai lu dans ma vie de lectrice.

Merci Anaïs.

Je vous remercie infiniment Maxime d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.