Il est déjà temps de clôturer cette série d’articles intitulée « La quinzaine groenlandaise », et quoi de mieux pour la terminer qu’une inteview de Mo Malø, à chaud dès son retour en France ?Je vous fais un petit récap’ des articles publiés, pour ceux qui voudraient les découvrir, ou les redécouvrir, ou pour ceux qui auraient envie de revoir les merveilleuses photos partagées par l’auteur durant son périple :
Mo Malø continuera de partager régulièrement sur son compte Instagram des photos de paysages, ou en lien avec ses deux ouvrages déjà publiés et celui à venir.
Avant de passer aux choses sérieuses, je souhaitais à nouveau remercier infiniment Mo Malø de m’avoir permis de partager un petit bout de son voyage avec vous, par le biais de mon blog et de mes réseaux. Qaanaaq a été un tel bouleversement dans ma vie de lectrice et de globe-trotteuse que j’en suis profondément touchée.
Nous espérons que vous avez pris plaisir à découvrir les lieux dans lesquels se déroulent ses intrigues, à en apprendre d’avantage aussi sur ce pays et sa culture. Et maintenant, je suis comme vous, j’attends le prochain !
Dernière petite info, et non des moindres : vous pourrez aller rencontrer l’auteur en mars prochain au festival Quais du polar !
Posez-vous au chaud, prévoyez quand même une tasse de café et quelques minutes au calme parce que, c’est qu’il est bavard l’ours polaire !!! et c’est parti pour l’interview !
Alors Mo, ce Groenland ?
« Pis ! » comment dirait mon Qaanaaq. Impossible à résumer. À la fois très conforme à tout ce que j’avais imaginé et posé sur le papier, et bien plus encore. Le sentiment général qui domine est que je n’avais jamais vu un pays et une culture aussi radicalement différents des pays occidentaux. Je suis déjà allé dans pas mal de coins du monde, mais rien de comparable à ça. Les paysages, les comportements, les rapports humains, la loi de la Nature qui s’impose à tous et en toutes circonstances… Tout y est atypique, pour un Européen comme moi. On sent vraiment qu’on est dans une région du monde en partie coupée du reste. Qui s’est développée de manière totalement autonome et singulière, et qui demeure encore extrêmement préservée. Pour ne prendre que cet exemple : il n’y pas un seul McDo ou autre enseigne américaine dans tout le pays.
Y accéder est long et compliqué, et s’y déplacer plus encore – ceux qui ont suivi mes péripéties savent comment j’ai pu « galérer » à ce sujet. Tout le monde ne supporte d’ailleurs pas ce sentiment d’isolement. Soit on se sent prisonnier et on déteste, soit on adore et on rêve d’y retourner (comme moi).
Tu as eu l’occasion de rencontrer en chair et en os des personnes mises en scène dans Qaanaaq et Diskø. Comment as-tu noué contact avec eux pour organiser ces rencontres, quel a été leur accueil envers toi ?
J’avais pris contact par mails au préalable avec tous ceux que je voulais rencontrer, ceux à qui j’avais déjà donné un rôle dans mes romans, comme ceux à qui j’en réserve un à l’avenir. Malgré quelques ratés, l’accueil a été dans l’ensemble très bon, et très chaleureux. Les Inuit, bien qu’assez réservés, voire farouches, sont connus pour être très pacifiques et amicaux. C’est d’ailleurs cette heureuse nature qui a favorisé les colonisations successives de leur territoire (par les Vikings autour de l’an 1000, puis par les Danois au début du XVIIIe siècle).
Quant aux Danois, ce sont un peu les « Italiens de Scandinavie » donc les plus chaleureux et accessibles des gens du Grand nord.La seule réserve (très légitime) que j’ai pu sentir en quelques occasions venait de Groenlandais (Inuit) qui me mettaient en garde sur la vision « dano-danoise » que certains de mes autres contacts pourraient me donner du pays. Une vision un peu trop idyllique et qui occulterait les problèmes locaux. Un avocat (Inuit et partisan de l’indépendance) que j’ai rencontré m’a dit : « quand tu interroges quelqu’un sur ce pays, tu dois toujours te demander d’abord s’il est plutôt un danois ou plutôt un Inuk. S’il te parle en tant que danois ou tant qu’inuk ».
En tout cas, chez tous j’ai ressenti un attachement viscéral à ce territoire si éloigné de tout et si méconnu. Et tous semblaient touchés que je m’y intéresse autant, moi le petit français.
Nous avions abordé, lors de notre première interview ensemble il y a un an et demi, l’ampleur des recherches réalisées pour l’écriture de Qaanaaq, afin de décrire le quotidien des habitants de ce pays que tu n’avais encore jamais visité, pour coller au plus près de la réalité. Tu me l’as dit toi-même, on a toujours tendance à fantasmer un pays avant d’y avoir mis le pied. Alors, la réalité correspond-elle à ce que tu t’étais imaginé ?
Dans l’ensemble oui. En tout cas je ne pense pas avoir commis d’erreurs ou de contresens majeurs dans mes romans, par rapport à ce que j’ai découvert sur le terrain. Les principaux enjeux et problèmes (la violence dans la familles, les abus sur les enfants, les ressources énergétiques convoitées par les occidentaux, le dérèglement climatique, les suicides très nombreux, etc.) sont tels que je les avais cernés.
Au-delà, évidemment, j’ai découvert une infinité de détails et de nuances intéressantes, qui sont venus je pense enrichir et affiner ma vision. Difficile d’en sortir un plutôt qu’un autre, mais pour mentionner un aspect qui m’a frappé, c’est par exemple la place prépondérante des femmes dans la gestion de la vie quotidienne. La plupart des hommes Inuit se laissent complètement porter par leur compagne ou épouse. Ce sont elles qui gèrent tout dans le foyer, pour les enfants comme pour le reste. Il y a une sorte d’indolence masculine généralisée qu’on imagine assez mal tant qu’on n’a pas mis les pieds dans le pays.
Un autre aspect, c’est le prix tout relatif de la vie dans des conditions aussi extrêmes. Les morts prématurées, notamment accidentelles sont fréquentes. Cela a pour conséquence un recours au suicide plus « naturel » que chez nous. Si on ne va pas bien psychologiquement, le suicide apparaît comme une solution in fine assez logique et banale. A l’opposé, et pour les mêmes raisons, les grossesses précoces sont très fréquentes. Concevoir un enfant au Groenland apparaît comme quelque chose de normal, ce n’est pas un tel événement. On m’a par exemple parlé d’un chauffeur de bus à Nuuk de 32 ans… qui venait d’être grand-père !
Je mentionnerais aussi cette sensation très surprenante et paradoxale d’être dans un territoire immense (quatre fois la France), où tous les déplacements sont chers et compliqués, et néanmoins dans une société minuscule, où tout le monde se connaît et où il n’est pas rare de retrouver des têtes connues par accident, y compris loin de chez soi. A plusieurs reprises j’ai croisé par hasard, dans de petits aéroports, des gens que j’avais manqués à des centaines de kilomètres de là à cause de nos vols annulés.
Parlons bouffe… Tu décris, dans Qaanaaq et Diskø, certains plats qui peuvent sembler peu ragoûtants aux Français épicuriens que nous sommes, j’ai le souvenir par exemple d’un plat en sauce à base de phoque. As-tu osé goûter des plats typiques groenlandais, et si oui… Est-ce que c’est bon ?
Alors je vais te décevoir sur ce point, car je n’ai pas mangé beaucoup de choses très exotiques, à part un plat de renne, et aussi un morceau de peau et de graisse de baleine découpée dans l’animal tout juste chassé. Je devais être convié à un dîner groenlandais typique chez une élue du Parlement, ex-première ministre, mais hélas j’ai du annuler quand j’ai été bloqué durant deux jours à Uummannaq.
Si l’on excepte l’alimentation « de survie » que beaucoup de Groenlandais chassent ou pêchent eux-mêmes (flétans, phoques, baleines, narval, bœuf musqué, rennes, etc.), 95% de la nourriture dans les supermarchés provient d’importations, essentiellement en provenance du Danemark. Les seuls rayons alimentés en produits locaux sont les rayons surgelés, où l’on trouve les poissons et viandes déjà cités. Comme on s’en doute, tout est cher, très cher même, entre 50 et 100% plus cher qu’en France à produits équivalents. L’autre fait marquant, ce sont certains rayons au trois quarts vides, et qui peuvent demeurer ainsi assez longtemps quand les containers de réapprovisionnement ne parviennent plus jusque-là, en particulier en hiver.
Ce voyage a été l’occasion pour toi de te rendre à Uummannaq, lieu dans lequel tu situeras plusieurs scènes de ta prochaine intrigue. Quelques infos concernant ce tome 3 des aventures de Qaanaaq Andriensen pour les lecteurs qui l’attendent de pied ferme ? Allez, ça restera entre nous ! =)
Il sera beaucoup question de cette île incroyable, dominée par cette montagne de granit rose en forme de cœur, et aussi beaucoup question des jeunes Groenlandais, de suicide des jeunes, d’éducation… Si je me suis rendu à Uummannaq, c’était en particulier pour visiter le Foyer pour enfants du village, le plus connu du pays, car il pratique une thérapie de résilience fondée sur la pratique musicale et la reconnexion des enfants maltraités ou abandonnés à leurs racines inuit.
Il sera aussi beaucoup questions de traditions inuit, en partie perdues, notamment de chamanisme.
Quel est le souvenir le plus marquant de ton voyage ?
Tu t’en doutes, il est très difficile de répondre à ça ! J’hésiterais donc entre la rencontre, passionnante et pour moi émouvante, avec Bjorn Bay, le véritable patron de la police groenlandais et modèle de mon personnage principal, Qaanaaq Adriensen ; et juste une image, celle de l’arrivée en hélicoptère à Uummannaq, au fond du fjord du même nom, où j’avais l’impression d’atterrir sur l’île de King Kong en version arctique ! Sauvage, fascinante, un brin inquiétante, et surtout si belle !
Je te laisse carte blanche pour terminer cette interview !
Malgré mes difficultés à rentrer en France (deux jours de retard par rapport à ma réservation initiale), et à peine le pied posé ici, je me suis dit : « OK, c’était génial, mais ce n’était qu’une première prise de contact. J’y retournerai. C’est certain ! ».
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à mes questions =)