J’ai découvert James Osmont via les réseaux sociaux au moment où je me lançais dans l’aventure de créer mon blog en 2016, grâce à son premier ouvrage, Régis. On peut dire que je suis une fidèle parmi les fidèles, car je n’ai cessé de suivre son parcours depuis.
Deux autres tomes ont suivi Régis : Sandrine et Dolorès, et tous les trois constituent une trilogie très étonnante, décalée, et différente de ce qu’on trouve habituellement dans la littérature noire.
James Osmont est infirmier en psychiatrie de profession, et c’est dans ce milieu si particulier qu’il plonge ces lecteurs, aux côtés de personnages torturés, attachants.
J’ai été ravie d’apprendre, il y a quelques mois, que cette trilogie allait être enfin publiée chez un éditeur. L’occasion pour moi de mettre en avant son auteur, James Osmont, dans un échange où il vous parle, sans fard, de lui, et de son travail d’écriture.
Je vous rappelle au passage mes chroniques de Régis, Sandrine et Dolorès. Pardonnez la brièveté de certaines d’entre elles, j’essayais de me trouver un peu niveau chroniques et j’ai un peu honte de vous les faire lire à nouveau, plusieurs années après, je dois vous l’avouer 🙂
Vous êtes prêts ?
Lumière sur James Osmont !
Bonjour, James. Peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore, s’il te plaît ?
Salut, Anaïs ! Salut tout le monde ! D’abord merci de braquer ton projecteur sur moi, parmi les multiples sollicitations, notamment les grands noms et les grosses sorties qui se succèdent. C’est la réalité du blogging d’aujourd’hui et tu vas me dire « oui, mais qu’est-ce que ça a à voir avec ta présentation ? »… Et bien tout ! Parce que je pense justement que le public, notamment les grands lecteurs, les gens qui suivent des blogs littéraires pointus etc, sont en demande de choses qui sortent un peu sentiers battus, des objets littéraires pas tout à fait identifiés, des propositions qui soient plus artistiques que de « grande consommation ». Alors oui, moi je me présente comme un « artiste », autant assumer le terme. Je viens de la photo, disons que c’est par ce média que j’ai commencé mon exposition aux autres, l’expression publique de ma sensibilité, avec la prétention énorme de penser que ça pourrait éventuellement intéresser quelqu’un, faire vibrer, se questionner, étonner, déranger mes contemporains… Et puisque ça a été le cas, et bien autant continuer !
Bon sinon, je suis de Brest, j’ai 36 ans et je suis infirmier aussi… Accessoirement.
Tu as publié trois ouvrages en autoédition entre 2016 et 2017, « Regis », « Sandrine » et « Dolores », qui constituent « La Trilogie Psychiatrique ». Cette trilogie vient tout juste d’être publiée aux Éditions Nouvelle Bibliothèque. Comment s’est passée la recherche d’un éditeur pour toi ?
Assez naturellement. Pour ainsi dire, sans rien faire d’autre qu’essayer d’exister sur les réseaux sociaux avec ce texte, pour ce qu’il est, sa force, les clivages qu’il a suscités et les interrogations aussi. Bien sûr j’ai été très présent, très patient, très proche des gens qui se penchaient sur ces romans. On n’a rien sans rien… Et puis, miraculeusement ces trois romans ont beaucoup fait parler d’eux, alors forcément j’étais sûr (même si c’est naïf, de nos jours) que ça intéresserait tôt ou tard une maison d’édition. Après, il fallait qu’elle soit plus curieuse que commerciale, plus audacieuse que « dans les clous » et très humaine pour que j’aie envie de signer plutôt que de continuer par moi-même, en indépendant. J’ai trouvé ça chez les Éditions Nouvelle Bibliothèque, dès la première heure, dans leur démarche.
Donc ce n’était pas une obsession pour moi : signer pour signer alors que je me débrouillais bien tout seul, en termes de ventes et d’exposition. Je n’ai pas envoyé beaucoup de manuscrits à des maisons d’édition. Les retours étaient systématiquement les mêmes (je parle de ceux qui n’étaient pas des lettres type) : « c’est très bien écrit, mais c’est inclassable et donc invendable ». À partir de là, pour moi tout était dit concernant le milieu de l’édition traditionnelle. Et puis je suis tombé sur un éditeur, lui-même auteur, qui pensait la même chose des travers du système… Évidemment, ça a « matché ».
Y a-t-il eu un travail de réécriture de la part de ton éditeur, avant publication ?
Réécriture, c’est beaucoup dire. Il ne fallait en aucun cas dénaturer le roman, l’éditeur y tenait, ne pas en modifier le feeling singulier, y compris une certaine urgence et cette petite musique des mots que j’avais composée… Il y a bien sûr un comité de lecture vraiment impitoyable chez ENB, avec lequel les auteurs n’ont pratiquement aucun contact pour garantir son objectivité. Ils m’ont fait des retours détaillés, et moi aussi, j’ai remis ce texte en question (son écriture remontait à deux ou trois ans).
Ensuite, l’idée de proposer un objet-livre abouti avec cette « intégrale augmentée » était un leitmotiv depuis le début du projet : ça incluait naturellement l’ajout de chapitres, de bonus comme des illustrations signées de mon partenaire Laurent Fièvre, un redécoupage, des nouvelles en forme de spin off (70 pages), une plus grande facilité pour accéder aux bandes-son qui accompagnent le récit, toujours dans cette idée d’expérience émotionnelle globale, « multimédia »… C’était en soi un gros pari pour un petit éditeur, le livre aujourd’hui est ambitieux et plus atypique que jamais. Au final, il pèse un kilo et fait 725 pages.
Tu es infirmier psychiatrique de profession, comment en es-tu venu à l’écriture ?
C’est l’histoire de ma vie, je pense. C’est quelque chose de naturel pour moi. J’ai obtenu un bac S avec mes meilleures notes dans les matières littéraires, en philo, en histoire, en français. Petit, je racontais pas mal d’histoires, je rédigeais des petites notes au sujet les vinyles de mon père que j’écoutais au casque, parfois en cachette, parce qu’ils n’étaient pas tous en « libre accès », disons ! (À ce sujet, et je sais que ça te parlera, j’ai un attachement particulier pour « Killers » d’Iron Maiden.) Bref, vers 20 ans, j’ai commencé à animer un fanzine musical : ça a duré dix ans. C’était l’époque Myspace, avant Facebook, pas grand monde faisait ça, c’était un énorme travail : décortiquer des disques de rock indé, punk, hardcore, peu connus, en faire des chroniques pour poser des mots sur des émotions beaucoup plus nuancées qu’il n’y paraît. Ensuite j’ai pratiquer la photo de manière intensive et là aussi, ma proposition était atypique, « étrange », en cherchant à peindre avec la lumière (étymologie de la photographie), centrée sur la représentation des émotions autour de l’errance, de l’angoisse, de la solitude. J’ai dû réalisé une quinzaine d’expos en trois ans.
Et puis de cette facilité, j’en ai fait mon métier, à partir de 2005. Je travaille aux urgences, ce qui me permet de ne pas être uniquement dans un service d’hospitalisation : tous les jours, je reçois des gens, malades ou pas, cabossés, en difficulté chronique ou passagère, qui livrent une matière humaine à la fois riche et dramatique… Ça nourrit forcément une certaine réflexion autour de la condition humaine. Donc au total, j’ai l’impression de tourner autour d’un même sujet, depuis très longtemps, avec des angles et des outils différents, et c’est probablement ça la définition d’un parcours artistique.
T’es-tu inspiré de personnes que tu as rencontrées dans le cadre de ton travail pour écrire le roman ?
Oui et non, disons que rien n’est vrai mais tout pourrait l’être. Comme je disais : des années passées à croiser des milliers de personnes en détresse, certaines qui te ressemblent, d’autres non, certaines qui te présentent le miroir de tes propres angoisses, d’autres qui te fascinent, etc, ça nourrit une réflexion, une expérience. Il y a des points communs, des enjeux qui se répètent autour de la perte, de la normalité, de la fragilité qui nous est commune à tous… Bien souvent la réalité dépasse la fiction, c’est cliché de le dire, mais c’est vrai. Donc à partir de là, trouver des ressorts narratifs forts n’étaient pas difficile. Et puis mon leitmotiv a toujours été de proposer une certaine crédibilité qui fait parfois défaut dès qu’il s’agit de folie, d’inhumanité et de psychiatrie dans le genre thriller…
As-tu de nouveaux projets d’écriture pour les mois à venir ?
Oui, le prochain roman est d’ores et déjà bouclé. Il sera très différent et à la fois pas tout à fait… Suspense ! C’est une petite exclu parce que j’ai eu la confirmation il y a moins de deux semaines : là aussi, le comité de sélection ENB a été rude à passer, mais très aidant aussi.
Et puis il y a d’autres choses plus imprécises, en chantier… Je n’arrête jamais vraiment, tu sais. C’était pareil avec la photo : c’est un certain état d’esprit, une grille de lecture du monde, une disponibilité mentale qu’il faut conserver en permanence pour capter les inspirations qui peuvent naître de tout et de rien…
Je te laisse carte blanche pour terminer cette interview !
Peut-être un mot sur la musique, une thématique qui nous réunit tous les deux, je crois. Tu me donnes l’impression d’être quelqu’un de très « en contrôle » dans la vie, et ta zone de décompression, ce qui fait naître à la fois des sourires enfantins et le brin de folie dont tu n’es pas dépourvue, c’est justement quand tu t’enthousiasmes pour la musique. Moi c’est l’inverse, je suis un rêveur, mais j’ai longtemps eu un rapport assez analytique à la musique. Chez moi, petit, il y avait comme une gêne, une pudeur à montrer trop de joie, de transcendance à travers une émotion, entre autres la musique. Mais avec l’écriture et cette volonté de mélanger les médias, je me suis à mon tour épanoui dans ce que je faisais vivre aux personnages via leur rapport à la musique. C’est un aspect de la rédaction de « La Trilogie Psychiatrique » qui m’a demandé un énorme travail de recherche, de traduction, un effort d’empathie absolue avec les personnages. Tout ça pour dire que le lecteur devra forcément appréhender l’omniprésence de la musique s’il veut se connecter tout à fait à ce que propose ce roman, pas forcément écouter la bande-son, mais prendre la pleine mesure de l’importance de la musique, presque en tant que protagoniste à part entière… Oui, je sais, c’est un peu mystérieux… mais vous aimez ça aussi, avouez-le !
Merci infiniment d’avoir répondu à mes questions !
Merci à toi et à ceux qui auront lu jusqu’au bout ! C’est un drôle d’exercice, les interviews. Faire son intéressant tout en essayant d’être pertinent, se dévoiler un peu mais pas trop… Moi je ne calcule jamais vraiment, je réponds spontanément, en oubliant peut-être des choses, mais avec sincérité : ça fait partie de la relation que j’essaie d’entretenir avec ceux qui s’intéressent à ce que je fais, je le leur dois bien. Et on a les lecteurs que l’on mérite !
Lisez, nourrissez-vous, partagez, osez : sans bouche à oreille, pas d’auteurs émergents !