C’est une interview un peu particulière que je vous propose aujourd’hui, car pour la première fois, je ne vais pas donner la parole à un auteur mais à une traductrice !
C’est grâce à leur formidable travail que nous avons une diversification aussi importante dans les parutions en France, et j’ai eu envie de mettre en lumière Ombeline Marchon, que j’ai découverte pendant ma lecture de Sott de Ragnar Jonasson (Editions La Martinière), car elle en est la traductrice. Elle a également traduit, plus récemment, La maison de Vanessa Savage, (Editions La Martinière) dont je vous parlais il y a quelques jours.
Ombeline nous parle aujourd’hui un peu d’elle, et beaucoup de son activité.
Vous êtes prêts ?
On y va !
Bonjour Ombeline, peux-tu te présenter aux lecteurs en quelques mots stp ?
En quelques mots, j’adore les mots, les langues et la musique. Ce qui va de pair.
Depuis combien de temps es-tu traductrice ?
Je traduis des textes depuis vingt ans, des romans depuis deux ans.
Comment se déroule une traduction ?
Mal. Je plaisante 🙂 Dans mon cas, elle se déroule en trois étapes. Je fais d’abord un travail de déchiffrage : je transcris en français ce que raconte le texte, c’est-à-dire que je décalque l’histoire dans ma langue natale. Une fois terminée cette première version, je repasse entièrement sur le texte pour qu’il « sonne » mieux. Pour qu’il soit lisse à l’oreille. Je lis souvent ma traduction à voix haute pour en vérifier le rythme et la mélodie. Pour éviter les phrases bancales, les répétitions, les hiatus. Pour qu’elle ne soit pas seulement le reflet du texte d’origine, mais un nouveau texte original : pour moi, la traduction est aussi une re-création… À l’issue de cette deuxième étape, j’envoie mon travail à l’éditeur. Celui-ci propose ensuite des corrections ou des modifications, et nous établissons ensemble la version définitive du texte. À ce stade, je peux réciter le roman par cœur et frôle l’overdose !
A quelles difficultés un traducteur est-il confronté lors de son travail de traduction ?
Curieusement, la difficulté ne vient jamais d’un vocabulaire compliqué. Je n’y connais rien en fleurs, mais « bleuet », « myosotis » et « dahlia », je vais le trouver dans le dictionnaire. En revanche, il m’arrive de bloquer une heure sur une phrase de quelques mots. Parce que la traduire tout simplement depuis l’anglais, comme on le ferait au lycée, donnerait quelque chose de moche à l’oreille ou de pas naturel. Autre problème : le côté culturel du langage. En anglais, une ado de 14 ans, surprise ou effrayée, va dire : « Oh my God ! » sans forcément être croyante. En français, elle dirait « Putain ! », sauf qu’on passe au registre vulgaire… ça ne va pas. « La vache ! », « Bon sang ! » sont ringards… Comment faire ? Un dernier exemple : comment traduire le « you » entre deux personnages qui font connaissance pendant le livre ? Dans le texte anglais, à aucun moment ils ne vont se demander : « On pourrait peut-être se tutoyer ? ». Damned ! Je dois ruser.
Choisis-tu les projets sur lesquels tu vas travailler ? En as-tu déjà refusés ?
Je ne choisis pas, non. Je ne suis pas encore la star de la traduction, donc j’accepte avec gourmandise tout ce que l’on me propose, et même je minaude pour en obtenir davantage. J’ai tellement de plaisir à travailler sur un texte que je suis capable de me lever à cinq heures du matin, juste par appétit de continuer !
Comment t’es-tu fait connaître dans le monde de l’édition ?
Moitié réseau familial, moitié casse-couillite correctionnite aiguë. Il se trouve que je connais personnellement l’éditrice qui m’a confié mes premiers romans. Je ne la nommerai pas, mais louée sois tu, Marie Leroy, chez La Martinière… Parallèlement, je ne peux pas m’empêcher d’envoyer les relevés des fautes d’orthographe et de traduction que je note dans tous les livres que je lis, donc parfois on revient vers moi pour me proposer du boulot !
Combien de temps en moyenne passes-tu sur la traduction d’un livre ? Quels sont les délais imposés par les maisons d’édition ?
Jusqu’à présent, trois à quatre mois pour un roman de 300 à 400 pages. Et j’y passe énormément de temps. Sauf qu’au bout de cinq heures de traduction, j’ai le cerveau en ébullition, je sature. Du coup, le soir, j’ai tendance à lire des romans graphiques ou des trucs faciles…
Vis-tu exclusivement de la traduction ou as-tu d’autres activités annexes ?
Je suis auteur, pour le plaisir de la pure créativité. J’ai des romans à publier, mais pour l’instant je me contente d’écrire des comptines et des histoires pour les enfants qui trouvent plus facilement un éditeur. Je suis aussi rédactrice / correctrice, parce que j’aime avoir un travail diversifié, et que je gagne mieux ma vie en rajoutant des accents dans les publicités McDo ou en créant un site web qu’en traduisant de la littérature. Triste monde ! Sauf qu’au final, bien sûr, je préfère passer du temps avec un auteur islandais qu’avec un double cheeseburger !
Penses-tu que le métier de traducteur/trice manque aujourd’hui de reconnaissance ?
Je pense que tous les métiers « de plume » manquent de reconnaissance : auteur, scénariste, traducteur. Ils sont souvent peu considérés et mal payés. Mais le fait est que les gens regardent plus la télé qu’ils ne lisent… L’argent, les éditeurs ne vont pas non plus l’inventer… Mais je ne me plains pas : je fais un boulot que j’adore, qui me procure un plaisir quasi physique ! Je traduis d’où je veux, quand je veux, et j’ai l’immense joie de rendre accessible au public français des livres que j’aime. D’apporter, à mon petit niveau, du bonheur au monde. Et de me voir publier comme auteur, même si c’est au service d’autres histoires que les miennes.
Sur quels projets travailles-tu actuellement ?
J’entre dans la phase « correction » d’un premier roman américain, un thriller psychologique un peu malsain comme je les affectionne. Et je boucle l’étape 1 du prochain roman de Ragnar Jónasson, mon chouchou des glaces. Comme je n’aurai plus rien à me mettre sous la dent fin avril, j’envisage soit de retourner à mes propres romans, soit de faire le siège des éditeurs pour qu’ils me filent un autre bouquin sur lequel suer sang et eau, soit de me suicider par écoute massive de Maître Gims. Mais me reposer, ça, jamais !
Merci infiniment Ombeline pour cette interview !