Hier, je publiais ma chronique sur Le manufacturier et vous l’aurez sans doute compris à la lecture de mon article, mais ce livre est plus qu’un coup de cœur pour moi, il est un de mes deux coups de foudre littéraires de cette année, je reste encore sous le choc quelques jours après l’avoir terminé, et il est compliqué pour moi de réussir à rentrer dans un autre bouquin depuis.
Mattias Köping est l’auteur de deux thrillers, Les démoniaques, son premier thriller doublement primé en 2018 qu’il n’est plus nécessaire de présenter je pense, paru aux Editions Ring, et Le manufacturier, paru hier chez le même éditeur. Auteur relativement discret sur les réseaux sociaux, j’ai l’immense joie de le recevoir ici pour une interview afin qu’il nous parle un peu de lui, et beaucoup de son dernier livre tout juste paru hier.
Vous êtes prêts ? C’est parti pour l’interview !
Bonjour Mattias. Merci beaucoup d’accepter de répondre à mes questions.
Avec plaisir !
Peux-tu te présenter en quelques mots, pour les lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore.
J’ai 46 ans . Je suis marié et père de deux enfants. Je mène une vie très tranquille et rangée quelque part dans la campagne normande.
Ta première parution, Les Démoniaques, chez Ring, a connu un succès retentissant auprès des lecteurs de littérature noire. Comment aborde-t-on l’écriture d’un second opus après un tel succès ? Plus confiant ? Ou est-ce au contraire une grosse pression ?
Je ne suis ni plus confiant, ni plus stressé. Les deux bouquins sont différents et chaque livre est unique. Même si Le Manufacturier est plus noir que Les Démoniaques, il s’agit d’un autre livre. Je me concentre juste sur l’écriture, sur le moment présent, et rien que ça. J’ai été le premier surpris par l’accueil réservé aux Démoniaques et j’en profite pour remercier mes lecteurs et mon éditeur. Naturellement, j’aimerais bien que ce nouveau livre marche bien auprès du public, mais je ne me pose jamais la question et c’est encore le cas aujourd’hui, une semaine avant la sortie. Se poser la question de savoir si ça va marcher alors qu’on est en train de bosser risque fort de perturber le travail en cours. C’est déjà renoncer à une partie de ce qu’on veut faire. Par contre, j’ai essayé de rendre un bouquin écrit avec soin et sérieux, un peu comme un artisan qui a à cœur de fabriquer un bel objet.
On peut dire que tes ouvrages sont loin d’être une douce balade bucolique, tu puises dans ce qui est le plus noir dans la société et l’âme humaine…
C’est exact. Dans la vie de tous les jours, je suis très porté au rire, à la plaisanterie et je ne suis pas déprimé du tout. En revanche, je suis, j’ai été et je serai jusqu’au bout un vrai pessimiste. J’ai une vision noire du monde. Cela n’engage que moi, mais je suis persuadé que l’humanité va droit dans le mur, et que ce sera dans peu de temps sur l’échelle historique. On ne réformera jamais l’Homme. Il n’y a jamais rien eu de changé. La bête humaine est toujours la même, partout et tout le temps. J’ai toujours été frappé par le côté abject de l’humanité. On peut même dire que je suis hanté par cette question.
Certains passages sont d’une rare violence et tu n’épargnes pas grand-chose à tes lecteurs, comment gères-tu l’écriture de scènes aussi difficiles ?
C’est très dur, surtout pour les scènes dans lesquelles je m’inspire de faits réels, c’est-à-dire presque toutes. Je suis souvent obligé de suspendre l’écriture plusieurs jours d’affilée.
Pour Le Manufacturier, je me suis énormément documenté et ce travail m’a littéralement plombé le moral, durablement, en particulier les comptes-rendus des procès sur les crimes de guerre (chacun peut aller les consulter sur le portail internet du Tribunal pénal international de La Haye, entre autres). C’était pareil pour Les Démoniaques, même si le sujet n’était pas le même.
Quant à la violence dans la fiction, si on y réfléchit bien, presque tous les polars et les romans noirs sont construits sur elle (meurtres, viols, crimes, délits, etc.). Après, c’est juste une question de degrés. La plupart des bouquins s’arrêtent au seuil de la porte (vous savez, au cinéma, cet effet de la porte qui se ferme sur une scène pénible, pour ne pas trop secouer le spectateur), alors qu’en fait, c’est ce qui se passe derrière la porte qui est le cœur du livre. C’est ça que je décide de raconter dans certains passages terribles : je laisse la porte ouverte. Je trouve que dans un roman noir, on peut tout se permettre. La violence d’un roman, à mon avis, est beaucoup moins dure à supporter que la violence d’un film. Les images sont plus pénibles à supporter que les mots.
Cela dit, même s’il est très réaliste, un livre reste un livre. Il ne faut jamais oublier cela : c’est une fiction ! Et la fiction n’est pas la réalité. Ce sont deux choses différentes. La réalité est infiniment plus épouvantable que le plus épouvantable bouquin. En vrac, je vous suggère quelques sujets que j’ai creusés pour documenter mon texte : Seconde Guerre mondiale, guerre de Yougoslavie des années 90, guerre civile des années 90 en Algérie, guerre civile du Rwanda, guerre civile au Libéria et en Sierra Léone. J’y ajoute des lectures sur les méthodes des gangs en Amérique du Sud (les maras du Salvador, les cartels du Mexique et d’ailleurs), sur des affaires de narcotrafic (en particulier au Havre), sur les nouvelles formes de criminalité (par exemple, l’achat de crimes en streaming sur le dark Net), sur l’évolution de la prostitution et la violence au fil des jours. Fouillez par vous-mêmes et vous verrez qu’aucune fiction n’arrive à la cheville du monde réel en termes d’horreur.
Comment as-tu géré une intrigue aussi riche que celle que tu déroules dans Le Manufacturier, et avec un tel nombre de personnages ?
En effet, Le Manufacturier est beaucoup plus complexe que Les Démoniaques. Mon premier roman est linéaire, volontairement dépouillé et simple dans sa forme, son contenu et son style. Le Manufacturier repose au contraire sur un très grand nombre de personnages et des intrigues croisées. La mise en place de la structure n’a pas été facile, d’autant que j’augmente ou j’imagine d’autres épisodes au fil de mes lectures et de mes centres d’intérêt, alors même que je suis en train d’écrire. Ça bouge en permanence. Comme pour Les Démoniaques, je l’ai d’abord écrit à la va comme je te pousse. Je ne sais jamais où je vais. Je ne connais jamais la fin de l’histoire. J’ai ensuite tout remis en ordre lors de reprises totales du texte, en éliminant plein de choses. Cela a été ardu et pénible. Globalement, le bouquin est une tresse, un tout formé de brins qui s’entremêlent au fur et à mesure qu’on avance et qui se rejoignent tous. Rien n’est gratuit. Tout sert l’intrigue.
Quelle place occupe aujourd’hui l’écriture dans ta vie ?
J’ai un rapport difficile à l’écriture. Parfois, je n’écris rien pendant des mois, et ça me va très bien. Je suis rarement satisfait de ce que je produis, alors c’est compliqué. Je me remets à écrire quand cela recommence à me manquer.
Je te laisse carte blanche pour terminer cette interview !
D’abord, merci pour l’interview. Ensuite, j’ai hâte de rencontrer mes lecteurs lors des salons, car ce sont vraiment des moments plaisants. On discute de ce qu’ils ont aimé ou pas dans le bouquin, mais aussi de ce qu’ils lisent d’autre, de ce que nous cherchons dans des livres très sombres, le tout avec une grande bonne humeur. À très vite tout le monde.
Merci beaucoup Mattias d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
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